Basée à Lyon, au pittoresque théâtre de l’Elysée, AADN (Assemblée Artistique des Diversités Numériques) est une structure atypique. Un trajet à Lyon et une après-midi entière de discussions plus tard, voici un aperçu de son histoire et des projets qu’elle porte.
L’ancrage territorial
Depuis son origine en 2004, l’association veille à être bien connectée avec son territoire, que ce soit à la Friche RVI à ses débuts ou maintenant dans le quartier de la Guillotière, cher aux membres actifs. Cette forte implication au niveau de la ville et du quartier les conduit à s’investir avec des partenaires locaux et régionaux ainsi qu’avec des artistes du coin.
Pour Pierre, « artiste amateur rémunéré » (il est VJ) et directeur d’AADN, le contact avec les structures socio-culturelles est primordial. Mais travailler avec elles pose la question de la légitimité et la non-reconnaissance des milieux artistiques… « On a un discours depuis le début qui essaye de gommer les frontières entre le milieu artistique, la jeunesse et la culture. »
Maintenant que l’association est plus structurée, trois grands axes de développement se dégagent autour d’un objectif : développer les arts et la culture en lien avec les technologies numériques. Pour cela, les membres d’AADN travaillent sur 3 pôles différents : un pôle de production, un pôle « laboratoire des usages » et un dernier « laboratoire professionnel ».
Le soutien aux artistes
Faisant écho à toutes ces réflexions, le premier axe d’AADN se dirige tout naturellement au soutien à la création. C’est un pôle qui est plutôt tourné vers les artistes. « Nous sommes dans une logique d’accompagnement qui va jusqu’à la production » indique Claire Zuliani, qui s’occupe du pôle administration/communication de la structure. Cela passe par l’accueil d’artistes en résidence ainsi qu’un véritable dispositif de veille, notamment via les appels à projet. En 2010, l’association a pu récupérer un petit financement pour ce pôle (sur le cycle de résidences artistiques Videophonic, initié en 2008, sans soutien public jusque 2010) car les décideurs estimaient qu’il fallait soutenir cette initiative.
Exemple : pendant un an, AADN a travaillé avec la compagnie « The Beast » en établissant un calendrier de création qui allait jusqu’à la production. L’objectif : entrer dans une logique économique. Après avoir essuyé les plâtres en 2010, le travail semble payer puisque cette année, le budget a doublé, le nombre d’artistes accueilli en résidence et soutenu en production s’est décuplé et ceux-ci sont diffusés nationalement.
« On arrive à un moment où des acteurs culturels nous donnent de plus en plus de visibilité. On est maintenant identifiés sur les arts numériques et du coup, sollicités pour animer ponctuellement des lieux. » raconte Pierre. AADN organise toujours des événements qui contiennent une partie de diffusion, des ateliers – qui s’apparentent à de la médiation – et des sessions d’échanges professionnels… mais plus de festival. À cela s’ajoute une logique de partenariats sur laquelle s’appuie AADN qui l’entraîne de fait dans une dynamique de régionalisation.
Mais faire ne suffit pas. Aujourd’hui, le manque de réflexion théorique et de recul sur ces formes d’art se fait sentir. Pour les acteurs, il est pourtant essentiel que du discours soit produit à propos de ce mouvement là. « On est vraiment en demande d’outils théorique pour avoir du recul sur nos pratiques » souligne Pierre. D’ailleurs, AADN est de plus en plus sollicité de la part d’étudiants en train de rédiger des mémoires voire des thèses. Un véritable travail sur l’art numérique est en train d’émerger.
La reconnaissance des arts numériques
Plusieurs marqueurs montrent une évolution de la reconnaissance des formes d’art numérique, à l’échelle locale déjà. Tout d’abord, en 2008, la ville de Lyon monte un dossier pour devenir capitale européenne 2013 et candidate au label Unesco « ville créative au titre des Arts Numériques » avec Jérome Delormas, l’actuel directeur de la Gaité Lyrique de Paris. À cette époque, il n’y a vraiment pas beaucoup de monde sur la partie artistique mais c’est une façon d’être précurseur puisque la ville obtient le label…
Peu de temps après (fin 2010), la région lance une grande consultation autour des sujets « culture et numérique ». AADN est invité à participer au comité de pilotage avec des élus et des techniciens. « On s’est rendu compte à ce moment là qu’aussi bien dans le domaine de la culture que dans celui du numérique, la création artistique ne pesait rien. » rapporte Pierre. Par contre, on parle beaucoup de numérisation du patrimoine, de l’industrie du disque ou de l’audiovisuel. Du coup, l’association lance l’ANRA (Arts Numériques Rhône Alpes), un réseau destiné à fédérer les acteurs de ce milieu et porter leur parole pendant la concertation.
Peu de temps après, la Gaité Lyrique ouvre ses portes à Paris. Si elle est aujourd’hui la 2ème scène en France, il faut aussi compter avec le Lux, la scène nationale de Valence qui a accueilli un festival art et jeu vidéo début 2011, L’Hexagone de Grenoble, Les Abattoirs de Bourgouin-Jallieu …« La Gaité Lyrique en France a mis le coup de projecteur sur ce mouvement mais il y avait déjà plein de spots et un réseau pré-éxistant défenseur des arts numériques » indique Pierre. Parmi ceux-ci, citons Le Cube, Arborescence, Kawenga, Zinc, le tmp-lab…
Pourtant, tout ceci ne résout pas les problèmes de financement. D’autant plus qu’à Lyon, la culture n’est financée que par la ville alors que son rayonnement se ressent sur toute l’agglomération. « Du coup les initiatives locales sont pour l’instant assez peu soutenues… à l’opposé des gros événements de marque comme les Nuits sonores, la Fête des lumières, les Biennales… » regrette Pierre.
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De nombreux projets
Aujourd’hui, AADN se concentre sur tout ce qui concerne les projets participatifs liés aux pratiques numériques (1) et l’art social. Par exemple, un projet de fiction en ligne sur Facebook est en cours, une forme de « data-littérature ». Au sein de ce projet pédagogique, artistes, structures locales et anthropologues se retrouvent dans un processus de création collaboratif tout en interrogeant les pratiques des participants.
Dans un autre genre, AADN est partenaire du projet Bizarre, dans lequel il s’agit d’accompagner des artistes urbains, ce qui permet d’accélérer le développement de la détection d’artistes de culture urbaine. « Dans ce projet, AADN apporte à Bizarre son expertise sur l’art numérique, et Bizarre apporte ses compétences d’accompagnement en intégrant le comité de sélection des résidences Videophonic que nous proposons via Pauline qui travaille sur la sélection des projets » indique Claire.
Même si la structure reste encore un peu isolée, les nouveaux partenariats qui se créent alimentent la logique de légitimation. Au niveau du financement, AADN est aujourd’hui financée à hauteur de 60% par des subventions. Le reste se fait en autofinancement, une part devenue évidente pour la survie de l’association et le développement de son activité. Pour l’instant, elle ne reçoit pas de subvention de fonctionnement.
Cultiver la dynamique professionnelle
L’axe Labo-pro de la structure reflète la volonté d’être un acteur qui participe à la professionnalisation et la structuration du secteur des arts numériques. AADN continue à animer le réseau lancé pendant la concertation, réseau devenu entre-temps inter-régional, et contribue à des projets comme RADart, en lien avec RADart Paris. C’est d’ailleurs ce premier événement porté à plusieurs structures lyonnaises qui a donné un véritable prétexte pour travailler ensemble. En pratique, c’est AADN qui pilote RADart mais l’événement est co-organisé avec trois autres structures : XLR Project, CreArtCom (studio de développement multimédia) et le MetaLab.
Lucide, Pierre tempère tout de même : « On est encore dans une phase très précurseur. Aujourd’hui, l’histoire ne permet pas de dire qu’on est au début d’une nouvelle forme d’art. » Pour le moment, l’art numérique pourrait tout aussi bien se dissoudre dans toutes les formes préexistantes où réussir a exister par lui-même. C’est aussi pour ça que la production théorique manque. « Un mouvement artistique nait aussi avec les productions de sociologues, philosophes et autres acteurs contemporains. » rappelle-t-il. Eh oui, pour l’instant, quand on parle d’art numérique on ne sait pas précisément de quoi on parle, et les références partagées manquent. À ce sujet, nos deux compères AADNiens pensent qu’on arrive à un moment où il y aura inévitablement des spécialisations dans le champ du numérique.
Pour l’instant deux champs se distinguent plus ou moins. D’une part, une forme artistique vraiment née de la possibilité offerte par la technologie et le numérique – par exemple ce qui relève de l’interactivité – et d’autre part, l’autre champ concerne une forme d’art déjà existant mais tellement impacté par les technologies qu’elle est profondément modifiée, par exemple le Vjing – l’art de mixer des vidéo que pratique Pierre – ou encore le champ de la danse augmentée dans lequel on retrouve soit des chorégraphies exploitant les techniques numériques soit des artistes multimédia qui font appel à un danseur. « On parle beaucoup d’hybridation et de mixité » Il faut se rappeler que le terme art numérique est récent et a longtemps gardé une connotation péjorative. Le fait que la Gaité Lyrique installe ce terme dans le paysage risque d’accélérer encore plus ces transformations…
Note
1. Interludes étaient le nom d’un projet participatif, qui a duré 5 ans
>> Illustrations : AADN